Sukkwan Island

Sukkwan-islandDavid Vann. – Gallmeister, 2012. – 232 p.

Roy, un adolescent de 13 ans, débarque avec son père Jim sur l’île de Sukkwan en Alaska. Ils doivent s’installer pendant une année dans une cabane isolée de tout, l’occasion pour tous les deux d’apprendre à se connaître. Le père a en effet abandonné la mère, le fils et la fille des années auparavant.
Le lecteur comprend très rapidement que le fils suit son père dans cette aventure personnelle, sans grand enthousiasme. Si l’on y réfléchit bien, qu’est-ce qui pourrait pousser un ado à vivre en huis-clos avec son père, coupé de tout pendant un an ? De sa vie d’adolescent on ne saura pas grand chose d’ailleurs, mais l’hypothèse selon laquelle le fils est là pour tenir compagnie à ce père fragile se confirmera tout au long du récit.
Très vite, les conditions de vie sur l’île deviennent difficiles. Le fils comprend que son père n’a pas forcément tout préparé pour affronter une vie aussi solitaire et rude, en raison notamment des conditions climatiques et naturelles.
Le fils devient par ailleurs petit à petit le confident de son père. Ce dernier s’ouvre bientôt toutes les nuits à son fils dans de longs monologues dans lesquels il revient sur ses erreurs passées, celles qui lui ont coûté un premier mariage – avec la mère de Roy – puis un second.
Dès les premières pages, en fait, le lecteur sait que cette histoire ne peut que mal se terminer. Roy est embarqué dans une aventure qui le dépasse, dans laquelle il ne devrait pas se retrouver. Car il n’est qu’un enfant, et un enfant ne devrait pas être impliqué dans des histoires d’adultes, quand bien même ces adultes se trouvent être son père ou sa mère. On en veut à Jim de mêler Roy à ses problèmes de père adultère, totalement irresponsable, dans cet environnement hostile.
Ce roman, âpre et difficile, pesant et bouleversant, laisse des traces. Il interroge sur le sens de la vie, sur la relation parent-enfant. Jusqu’où un enfant peut-il prendre en charge la souffrance de l’un de ses parents ? Est-ce tout simplement son rôle ? Ce livre se termine sur la rédemption d’un père qui comprend trop tard qu’il a tout perdu, et par là même raté sa vie. Un sérieux coup de poing. A bon entendeur…

Note : 4/5

Shifue

Il était une ville

Tiletaitunevillehomas B. Reverdy – Flammarion – 268 p.

J’ai déjà eu l’occasion de parler ici de Thomas B. Reverdy, jeune auteur découvert récemment avec deux romans – « Les Evaporés » et « Le ciel pour mémoire » – qui m’avaient bien plu. Rebelote avec son dernier livre dont je souhaitais vous dire quelques mots pour, peut-être, vous donner envie de le lire.
« Il était une ville » a pour décor la ville de Detroit aux Etats-Unis en pleine crise des subprimes. Loin d’être une simple toile de fond, Detroit joue un rôle à part entière dans l’histoire, où se croisent tout de même des personnages en chair et en os, également à la dérive. Il y a tout d’abord Eugène, un ingénieur français envoyé par l’Entreprise dans cette ville sinistrée pour y monter un projet de construction automobile. Projet dont dépend son avenir professionnel après qu’il a essuyé un échec commercial cuisant en Chine, et dont on comprend rapidement qu’il n’ira pas à son terme. Il y a également Candice, serveuse dans le seul bar de la ville encore animé dans lequel les salariés rescapés de la crise viennent chercher un peu de réconfort après leur journée de travail. Mais aussi Gloria, dont la fille est partie plus de dix ans auparavant sans laisser d’adresse mais en lui laissant sur (dans ?) les bras son fils Charlie, alors bébé, qu’elle élève seule depuis. Charlie lui-même, devenu adolescent, va également se retrouver au cœur de l’histoire. Et il y a enfin l’inspecteur Brown, un flic en fin de carrière qui mène une enquête sur des disparitions d’enfants, affaire qu’il prend particulièrement à cœur alors que personne ne semble par ailleurs s’en inquiéter. Tous ces personnages semblent, pour une raison ou une autre, à un moment charnière de leur existence.
Le talent de Thomas B. Reverdy est de mêler des destins au fil des pages, avec finesse, sans tirer sur des grosses ficelles. On assiste ainsi à la naissance d’un couple, celui d’Eugène et Candice, qui aurait pu sembler improbable au début du roman. On comprend également que la route de Charlie, l’adolescent fugueur, rejoindra plus tard celle de l’inspecteur Brown. Mais on ne sait pas à l’avance comment tout ça va se terminer. Vous l’aurez compris, j’ai bien aimé ce roman. Comme pour les deux précédents, la lecture est fluide et prenante, les personnages attachants. Bref, une confirmation.

Note : 5/5

Shifue.

Petit pays

petit_paysGaël Faye – Grasset – 2016 – 224 p.

Voilà, j’ai refermé hier « Petit pays » – que m’a offert récemment mon chéri – et je peux dire que c’est un vrai coup de cœur. Je n’en avais pas entendu parler, j’aurais dû. Car il s’agit d’un succès remarqué de cette rentrée littéraire – Prix du roman F… (sans vouloir faire de pub) – à mon sens amplement mérité.
L’histoire, en résumé : Gabriel, surnommé Gaby, a une petite dizaine d’années en 1992. Il habite à Bujumbura au Burundi avec son père, un Français, sa mère, une Rwandaise, et sa petite sœur. Ses journées s’écoulent lentement dans une atmosphère paisible, que viennent animer les retrouvailles quotidiennes avec les copains de l’impasse du quartier dans lequel il réside – Gino, Armand et « les jumeaux » -, un havre de paix dont ils sont les maîtres.
Mais très vite, le petit monde de Gaby va se fissurer (petit, comme dans le titre du roman, revêt ici un sens affectueux). Ses parents, qui se disputent de plus en plus, finissent par se séparer. Sa mère, issue d’une famille Tutsie, se rallie à l’espoir de sa famille de retourner au pays natal, fui dans les années 1960 pour cause de guerre civile. Pour Gaby, ce n’est que le commencement
 de la perte de l’innocence qu’il doit à son statut d’enfant. Car le contexte politique va très vite se dégrader également : élections présidentielles suivies d’un coup d’Etat, tensions grandissantes entre les communautés ethniques, montée de la violence. Gaby, dont le père refusait que sa sœur et lui ne s’occupent de politique, va malgré lui être confronté à une réalité que nul enfant ne devrait connaître : les horreurs causées par la haine aveugle et la guerre.
C’est un très beau livre que voilà, donc. On se prend très rapidement d’affection pour le jeune Gaby et son petit monde, dont on sent qu’il revêt pour lui une importance capitale et qu’il aimerait garder intact à jamais. Sauf que la réalité, chaque adulte le sait bien, ce n’est pas ça. A fortiori en temps de guerre. Ce pourrait être un roman d’apprentissage ou initiatique, sauf qu’ici le passage à l’âge adulte est plus que violent : il se fait dans le sang et les larmes.
L’écriture de Gaël Faye, très belle, très juste, donne à ce roman une véritable force. C’est un enfant qui parle, mais on sent pourtant une maturité saisissante, que bien des adultes ne pourraient revendiquer. On ressent une vive émotion à voir Gaby perdre peu à peu son innocence sous le coup du destin, qui s’acharne sur tout le monde sans distinction, au moment où l’on s’y attend le moins.
Après avoir refermé le livre j’ai eu envie d’en apprendre plus sur le roman et son auteur. Je suis notamment tombée sur la chanson qu’il a enregistrée à propos de son petit pays, car Gaël Faye est également slameur et ça se sent aussi dans le rythme du livre. Une belle chanson qui restitue la beauté d’un pays et celle de l’enfance, que Gaby voudrait préserver à jamais.
Il y aurait encore bien d’autres choses à dire sur ce roman, mais je vous laisse le soin de les découvrir par vous-mêmes. 

Et pour terminer, quelques extraits qui, je l’espère, vous donneront envie d’ouvrir ce très beau livre :

« – Un livre peut nous changer ?
– Bien sûr, un livre peut te changer ! Et même changer ta vie. Comme un coup de foudre. Et on ne peut pas savoir quand la rencontre aura lieu. (…) »

« Je n’avais pas de réponse à donner à ma petite sœur. Je n’avais pas d’explications sur la mort des uns et la haine des autres. La guerre, c’était peut-être ça, ne rien comprendre. »

« Dans mon lit, au fond de mes histoires, je cherchais d’autres réels plus supportables, et les livres, mes amis, repeignaient mes journées de lumière. »

« Je pensais être exilé de mon pays. En revenant sur les traces de mon passé, j’ai compris que je l’étais de mon enfance. Ce qui me paraît bien plus cruel encore. »

Note : 5/5

Shifue.

La septième vague

La septième vague – Daniel Glattauer – Grasset – 2011 – 352 pages

la-septieme-vagueRésumé (4ème de couverture) : Leo Leike était à Boston en exil, le voici qui revient. Il y fuyait la romance épistolaire qui l’unissait en esprit avec Emmi. Elle reposait sur trois principes : pas de rencontres, pas de chair, pas d’avenir. Faut-il mettre un terme à une histoire d’amour où l’on ne connaît pas le visage de l’autre ? Où l’on rêve de tous les possibles ? Où l’on brûle pour un(e) inconnu(e) ? Où les caresses sont interdites ? « Pourquoi veux-tu me rencontrer ? » demande Léo, inquiet. »Parce que je veux que tu en finisses avec l’idée que je veux en finir » répond Emmi, séductrice. Alors, dans ce roman virtuose qui joue avec les codes de l’amour courtois et les pièges de la communication moderne, la farandole continue, le charme agit. Léo et Emmi finiront de s’esquiver pour mieux… s’aimer !

Mon avis : Parlons un peu de la suite des aventures épistolaires d’Emmi Rothner et Léo Leike au terme du premier opus « Quand souffle le vent du nord ». Initialement comme je l’avais évoqué ici même cette histoire ne devait semble-t-il pas avoir de suite. Ce sont les demandes insistantes de nombreux lecteurs qui ont poussées Daniel Glattauer a écrire la suite de ce très bon roman. Bon il s’est peut-être dit aussi que ça pourrait rapporter un max de brousoufs mais là c’est une supposition tout à fait personnelle… Toujours est-il que continuer un roman censé être un one shot n’est pas forcément chose aisée, c’est du moins ce que je me suis dit pendant les 50 premières pages. Je ne suis pas rentré immédiatement dans le rythme me disant que l’auteur n’arrivait pas à raccrocher immédiatement les wagons (ou bidons comme on dit chez moi…) entre eux. De plus l’effet de surprise n’est plus, forcément, le même quand on connait déjà les personnages et leurs défauts, le rythme, le style. Un début en demie teinte selon moi. Mais, mais, mais (pour faire écho au si, si, si d’Emmi) la magie opère au fil des pages en retrouvant ces mails tantôt cinglants, ironiques, cyniques, percutants tantôt emprunts de sensibilité, doux, sincères, naïfs de deux personnages qui ne peuvent se passer de s’écrire par envie irrépressible, par besoin obsessionnel. Comme le tome 1 ça se lit très (trop) vite, les mails sont dévorés sans respirer, les pages défilent. Je me suis même dit en refermant ce livre que je lisais âchement vite, mais non en fait, j’ai cru un moment que j’avais un super pouvoir. Le jeu des personnages est intéressant bien qu’ils n’aient guère changés, adeptes du je t’aime moi non plus, du jeu du chat et de la souris, de se dire les choses, à demi mot, sans vouloir se dévoiler, de j’avance et je recule pour enfin, peut-être, sur un malentendu, passer du virtuel au réel. Et pour quel résultat ? Georges Clémenceau n’a-t-il pas dit « Le meilleur moment de l’amour, c’est quand on monte l’escalier » ? C’est bien de ça dont il s’agit ici, rencontrer – ou pas – la personne qu’on idéalise par mail. N’est ce pas se confronter à la réalité et faire retomber toute la magie qui n’existe que parce que la relation est impossible ?

Enfin, de nombreux passages m’ont « parlé », pour ne pas dire plus, faisant écho à ma propre histoire, ce qui procure une sympathie supplémentaire pour ce livre et pour ses deux protagonistes. J’ai donc passé, malgré le début un petit peu mitigé, un fort bon moment.

Citations : « Je vis ma vie, tu vis la tienne, et nous vivons le reste ensemble. »

« Parce qu’au final, toute fin est aussi un commencement. »

« Et avec les mails, on passe aussi ensemble le temps qui sépare deux messages. »

Note : 4/5

Doy.

La nuit des temps

La nuit des temps – René Barjavel – Presses Pocket – 1968 – 381 pages.

La nuit des tempsRésumé : Dans l’immense paysage gelé, les membres des Expéditions Polaires françaises font un relevé sous-glaciaire. Un incroyable phénomène se produit : les appareils sondeurs enregistrent un signal. Il y a un émetteur sous la glace… Que vont découvrir les savants et les techniciens venus du monde entier qui creusent la glace à la rencontre du mystère ? « La nuit des temps, » c’est à la fois un reportage, une épopée mêlant présent et futur, et un grand chant d’amour passionné. Traversant le drame universel comme un trait de feu, le destin d’Elea et de Païkan les emmène vers le grand mythe des amants légendaires.

Mon avis : Attention poids lourd de la littérature en approche. Dans ma PAL(P) il y a des incontournables que j’avais pour le moment contourné mais il arrive un moment où il faut revenir aux fondamentaux et reprendre par les bases. Ce jour est arrivé. De Barjavel je n’avais lu jusque là que « Ravage », ok ça date car c’était au siècle dernier… Il était donc temps lors de cette rentrée littéraire de lire une nouveauté de l’année… 1968. Les chefs d’œuvre c’est comme les bons vins, faut les laisser vieillir avant de les consommer. Allons donc voir s’il ne s’est pas madérisé.

J’avais déjà remarqué lors de ma précédente lecture que René Barjavel n’est pas du genre optimiste optimiste, connu pour ses romans d’anticipation qui expriment l’angoisse devant une technologie que l’homme ne maîtrise pas/plus. En refermant ses bouquins (du moins les 2 que j’ai désormais lu) je me suis dit que l’Homme (l’humain j’entends) est pourri jusqu’au trognon et qu’il serait préférable d’aller ouvrir une micro-brasserie au fin fond de la France et n’y voir plus personne. Pourquoi ? Pour boire des bières et oublier que l’Homme est pourri. Pourquoi micro ? Parce que sinon ça fait trop à boire et j’aime pas gaspiller. Mais je m’égare. Quoique… Car il est bien là le thème du livre – en plus de l’amour éternel qui uni Eléa et Païkan – les hommes et la société dans laquelle nous évoluons sont à jeter. La société de consommation, d’expansion, de conquête, telle que décrite ici nous renvoie l’image de ce que nous sommes : des insatisfaits en perpétuelle quête de plus. Plus d’argent, plus de biens, plus d’amis (virtuels ou non), plus de gloire, plus de « like », plus d’amour, plus de plus… Posséder plus ! Pourtant Eléa ne dit pas « Païkan est à moi » mais « Je suis à Païkan », la nuance est essentielle, primordiale !
Quand René passe l’ambiance trépasse… Je vais prendre un bol d’air et je reviens…

Me revoilà j’ai pris l’air, chargé de gaz carbonique, mangé un bout de poulet, génétiquement modifié, et j’ai vu plein d’amis, sur facebook : je me sens mieux. Je disais donc, ce livre l’est-il bien ou bien ? Ben bien, très bien même. Un livre à lire et sans doute à relire, à conseiller aux enfants en âge de le comprendre. Certes la narration est un peu datée mais très détaillée, précise, ciselée, rythmée. Il faut se remettre dans le contexte et essayer de lire cette histoire avec un oeil 50 ans en arrière. Il est nécessaire de se rappeler que les ordinateurs n’étaient qu’à leur balbutiement, l’auteur les décrit d’ailleurs plus évolués qu’ils ne le sont encore aujourd’hui. De plus, Barjavel fait de l’anticipation au passé, 900 000 ans plus tôt, quand les hommes étaient tellement plus évolués que nous mais toujours aussi cons, il faut appeler un chat un chat… Il eut donc été dommage de ne pas connaitre cette formidable histoire d’amour, de ne pas lire et comprendre la force des sentiments que rien n’emporte. Et puis enfin, le bouquet final, le dénouement, la conclusion, les dernières pages… où le happy end est définitivement un concept étranger à l’auteur.

Je suis heureux d’avoir enfin pris le temps de lire cette petite merveille de la littérature d’anticipation dépressive. Un petit chef d’œuvre. Je vais maintenant regarder Lagaf ou TF1 (ou les deux, c’est pas incompatible) pour me changer les idées… Ou plutôt, l’idée du siècle – autosatisfaction mode ON – je vais aller dormir un peu et me reposer car la nuit détend !

Citations : « Je suis entré et je t’ai vue. Et j’ai été saisi aussitôt par l’envie furieuse, mortelle, de chasser, de détruire tous ceux qui, là, derrière moi, derrière la porte, […] attendaient de savoir et de voir. Et qui allaient TE voir, comme je te voyais. Et pourtant, je voulais aussi qu’ils te voient. Je voulais que le monde entier sût combien tu étais, merveilleusement, incroyablement, inimaginablement belle. Te montrer à l’univers, le temps d’un éclair, puis m’enfermer avec toi, seul, et te regarder pendant l’éternité. »

« Mais ces soucis étaient pour demain, pour tout à l’heure. Vivre les malheurs d’avance, c’est les subir deux fois. Le moment présent était un moment de joie, il ne fallait pas l’empoisonner. »

« La merveilleuse, la totale innocence d’Eléa leur montrait à quel point la civilisation chrétienne avait – depuis saint Paul et non depuis le Christ – perverti en les condamnant les joies les plus belles que Dieu ait données à l’homme »

« Et voilà ! Ils sont là ! Ils sont nous ! Ils ont repeuplé le monde, et ils sont aussi cons qu’avant, et prêts à faire de nouveau sauter la baraque. C’est pas beau ça ? C’est l’homme ! »

Note : 5/5

Doy.

Le grand A

grandaXavier Bétaucourt, Jean-Luc Loyer – Futuropolis – 2016 – 128 p.

J’avais repéré cet album à sa sortie car sa couverture rouge avait attiré mon œil, et puis avec Futuropolis on est rarement déçu(e). J’aime bien aussi la BD « d’investigation », j’entends par là les albums qui traitent d’un sujet de société façon enquête journalistique. Je pense notamment à deux d’entre eux, lus et particulièrement aimés : Saison brune de Philippe Squarzoni, très fort et extrêmement bien documenté, sur les effets du réchauffement climatique ; et Cher pays de notre enfance de Benoît Collombat et Etienne Davodeau – également chez Futuropolis – qui revient sur les années noires de la Vème République et les agissements du SAC (Service d’Action Civique).
Le grand A, quant à lui, a pour thème la grande distribution. Le A étant l’initiale de l’enseigne bien réelle dans laquelle les auteurs ont été reçus pour mener leur enquête. Enfin reçus plus précisément par le directeur de l’hypermarché de Noyelles-Godault dans le Pas-de-Calais, l’un des plus anciens du groupe, dont les auteurs disent qu’il leur « a ouvert les portes de son magasin sans restriction et sans contrôle ». Voilà donc le lecteur immergé dès le départ dans les coulisses du plus grand hypermarché de France. On peut donc s’attendre à en apprendre de belles sur les méthodes de la grande distribution, qui font régulièrement l’objet d’ailleurs de reportages de journalistes.
Seulement voilà, ça part un peu dans tous les sens, et notamment du fait d’allers-retours entre passé et présent : on suit des personnages qui ont été témoins, adolescents, de l’ouverture du magasin au début des années 70 ; mais également le directeur du magasin, qui évoque des anecdotes anciennes ou récentes avec, on le sent, pas mal de fierté. La transition entre ces différentes périodes pourrait parfois être incompréhensible si les auteurs n’avaient pas joué sur la couleur des planches, lesquelles changent pour marquer ces ruptures temporelles.
Je regretterais également un certain manque de distance des auteurs par rapport à leur sujet : je m’attendais très sincèrement à plus de recul et de critique vis-à-vis de la grande distribution, et de son poids écrasant sur l’économie locale et nationale. Voire même sur l’influence qu’elle a sur la sphère politique, laquelle ne peut véritablement lui imposer ses lois. Mais, et j’écris cela en toute franchise, je n’ai peut-être pas su saisir cette prise de distance des auteurs, à qui l’on doit tout de même reconnaître le courage d’avoir osé montrer l’envers du décor de ces temples de la consommation. Car on se doute bien que ses concurrents ne font pas mieux que le grand A, et que les conditions de travail des salariés ou les pratiques commerciales de cette enseigne – notamment vis-à-vis des petits producteurs qui les approvisionnent – ne sont pas meilleures ailleurs.
Pour conclure, comme vous l’aurez peut-être compris de vous-même, je n’ai pas trop accroché en lisant cette BD. Je crois que le dessin lui aussi ne m’a pas totalement convaincue. Mais je vous laisse vous faire votre propre opinion, et vous incite tout de même à découvrir cet album, en bibliothèque ou en librairie.

Note : 3/5

Shifue.

Les choses

choses-perecGeorges Perec – 10-18 Julliard – 1965 (tirage 2012) – 170 p.

Le problème quand on commence à relire pour le plaisir* comme c’est mon cas depuis quelques semaines – étant restée un certain temps voire un temps certain sans lire, ou tout du moins sans lire autre chose que des lectures imposées – c’est qu’il y a tellement de romans en tout genre que l’on ne sait plus où donner de la tête. Ce sentiment est renforcé lorsque l’on se trouve en période de rentrée littéraire comme c’est le cas en ce moment, les librairies regorgeant de nouveautés toutes plus attirantes les unes que les autres. Car on a beau lire régulièrement et depuis des années, il y a forcément des livres à côté desquels on a pu passer, volontairement ou non. Des livres à ranger au rayon des classiques que l’on se doit de lire un jour. « Les choses » de Georges Perec en est un. Et c’est tout récemment, après en avoir discuté avec une de mes collègues de travail, que je me suis dit que j’allais enfin le lire.
Sauf que, voilà, a posteriori je pense que ce n’était peut-être pas le bon moment pour lire ce « classique » de la littérature française, qui a valu à Georges Perec le Prix Renaudot en 1965. Il y a un temps pour tout, et je pense qu’en ce moment j’ai surtout envie en lisant de passer un bon moment, de me faire plaisir, de rentrer dans la vie de personnages dont les aventures me transportent, auxquels je peux m’identifier, ou auxquels je m’attache car ils me sont familiers ou sympathiques. Rien de tout cela ici. Nul doute pourtant que le roman de Georges Perec est effectivement à classer dans la catégorie des livres qu’il faut avoir lu un jour. Mais comme il se produit parfois des décalages spatio-temporels, je pense tout simplement que sa lecture restera pour moi de l’ordre du rendez-vous manqué.
Je ne reviendrai pas en long, en large et en travers sur ce dont parle ce roman : les aspirations de Sylvie et Jérôme, psychosociologues dans la seconde moitié de la
 vingtaine, qui rêvent de posséder tous les attributs de la bourgeoisie de leur époque et accéder à un certain standing social. Le livre a fait l’objet d’analyses, de critiques et commentaires multiples qu’il est aisé de trouver en allant de ci de là sur le web. Je serais donc mal placée pour y aller de ma propre exégèse. Ce que je peux en revanche vous livrer c’est mon modeste ressenti, qui au final tient en quelques lignes seulement : j’ai survolé cette lecture dans un état que je qualifierais de dubitativo-perplexe. Oui, veuillez m’excuser, mais après avoir ingurgité une demi-bouteille de champagne en apéritif et un verre de vodka en digestif, comme c’est le cas à l’instant même ou j’écris ce billet, je ne suis plus tout à fait en possession de mes facultés intellectuelles… Je me suis même demandé si le substantif de « roman » convenait réellement à ce livre ? Le narrateur – Geroges Perec lui-même ? – se place à une distance telle des personnages que l’on en vient à se demander parfois si on a entre les mains un roman ou plutôt un essai sociologique, dont le jeune couple est l’objet central.
Bref, je ne saurais très exactement dire ce que j’en ai réellement pensé au final, et pour une fois me retrouve dans l’incapacité totale de lui attribuer une quelconque évaluation. Rendez-vous donc très rapidement avec, je l’espère, une lecture dont je saurais quoi vous dire plus précisément.

* spéciale dédicace à Herbert Léonard 

Il me restera toutefois de ce livre quelques citations très fortes, qui me font dire finalement que sa lecture n’a pas été totalement vaine :
« Les vrais départs se préparent longtemps à l’avance. Celui-ci fut manqué. Il ressemblait à une fuite. »  
« Leur vie était comme une trop longue habitude, comme un ennui presque serein : une vie sans rien. »
« Ils étaient à bout de course, au terme de cette trajectoire ambiguë qui avait été leur vie pendant six ans, au terme de cette quête indécise qui ne les avait menés nulle part, qui ne leur avait rien appris. »

Shifue.