Ma part du gâteau

Cédric Klapisch – 2011

J’aime beaucoup les films de Cédric Klapisch, je partais donc avec un a priori positif en allant voir ‘Ma part du gâteau’, d’autant que Karin Viard y tient le rôle principal et qu’elle fait partie des actrices françaises que je préfère…
De quoi parle ce film ? Eh bien c’est avant tout l’histoire d’une rencontre improbable entre France, la quarantaine, ouvrière
qui élève seule ses trois filles à Dunkerque et qui vient de se faire licencier après 20 ans de bons et loyaux services à la Sifranor. Et Steeve/Stéphane (prénom abandonné car trop frenchie pour ses collègues britanniques de la finance), un trader promis à un brillant avenir et qui est complètement déconnecté de la réalité sociale du Français moyen. France part chercher du travail à Paris et va être embauchée comme femme de ménage par Steeve/Stéphane. Au contact l’un de l’autre, ils vont faire connaissance avec des milieux qui leur étaient totalement étrangers, apprendre à s’apprécier et même se rapprocher. Mais entre la France (le pays) d’en haut et la France d’en bas, pas de réconciliation possible. Les choses ne vont donc pas évoluer dans le sens du happy end, et franchement c’est mieux comme ça pour nous spectateurs.
Dans la filmographie de Klapisch, ce film m’a semblé un peu différent de ce que le réalisateur fait habituellement. Moins de personnages qui se croisent, dont les destinées se mêlent, comme dans ‘L’auberge espagnole’ ou ‘Paris’ par exemple. On retrouve tout de même certains de ses acteurs fétiches comme Zinedine Soualem, qui joue souvent des seconds rôles. En résumé, j’ai trouvé le film très réussi pour plusieurs raisons : les deux acteurs principaux jouent bien et juste (j’avais des réticences vis-à-vis de Gilles Lellouche, mais il s’en sort honnêtement face à une Karin Viard toujours aussi douée), l’histoire est crédible, et le discours social de Cédric Klapisch fait mouche. J’ai donc passé un bon moment.

Shifue.


Toute la poussière du chemin

W. Antunes, J. Martin – Dupuis – 2010 – 78 planches

L’histoire se déroule après la crise de 1929 aux Etats-Unis. Tom est un homme sans âge qui a pris la route à la recherche d’un emploi, après avoir perdu ses terres et sa maison saisis par une banque qui a fait faillite, mais aussi son épouse (on comprend vers la fin pourquoi et comment). Il va dès la première planche croiser un jeune garçon nommé Buck qui comme tant d’autres est sur la route, et qui lui demande s’il peut l’accompagner. Tom n’est pas d’accord, il préfère voyager seul. Mais le garçon s’entête, le suit à distance. Et lorsque Tom cherche à s’en débarrasser en montant à bord d’un train où se trouvent déjà des passagers clandestins souhaitant tenter leur chance ailleurs, le jeune garçon s’élance et se raccroche au bras de Tom, qui finalement le hisse dans le wagon.
Qu’ai-je pensé de ce one shot ? Je commence une fois n’est pas coutume par le scénario en disant qu’il n’est pas très gai, compte tenu notamment du contexte historique qui n’est pas sans rappeler les ‘Raisins de la colère’ de Steinbeck. Mais il est bien construit.
On a envie de savoir en effet si Tom va réussir à retrouver Buck, qui a disparu, et le ramener auprès de sa mère, comme il l’a promis à son père qui est mourant. Au passage, on notera qu’à chaque fois que Tom est confronté aux autorités –  administratives ou policières – il constate qu’il ne peut avoir confiance en personne d’autre qu’en lui-même, ou en de pauvres hères comme lui qui cherchent à survivre dans une société hostile, raciste, sans foi ni loi. Bref, l’histoire nous tiendra en haleine jusqu’à la fin, où apparait une faible lueur d’espoir. Le dessin maintenant : le trait est épais, assez simple, et les couleurs peu soutenues, plutôt délavées. J’ai lu ici ou là des avis qui pensent qu’un trait plus réaliste aurait sans doute mieux servi l’histoire. Pour ma part, cela ne m’a pas gênée. En résumé, j’ai bien aimé l’album dans son ensemble.

Note : 4/5.

Shifue.

Tribulations d’un précaire

Iain Levison – Liana Levi – 2009 – 187 pages

Ce livre est un récit autobiographique, mais n’est pas vraiment un classique du genre. Son auteur, Iain Levinson, y livre de nombreuses anecdotes survenues à l’occasion des dizaines de petits boulots qu’il a dû enchaîner malgré l’obtention d’un diplôme universitaire. Extrait : ‘Au cours des dix dernières années, j’ai eu quarante-deux emplois dans six Etats différents. J’en ai laissé tomber trente, on m’a viré de neuf, quant aux trois autres, ç’a été un peu confus. C’est parfois difficile de dire exactement ce qui s’est passé, vous savez seulement qu’il vaut mieux ne pas vous représenter le lendemain.‘ En quelques mots, le ton est donné.
C’est un livre drôle, plein d’humour et d’esprit, mais moins superficiel qu’il n’en a l’air à première vue. Il dresse en effet un portrait sans concession du monde du travail américain, où le salarié est le plus souvent considéré comme un objet de consommation dont on peut se débarrasser dès qu’il ne fait plus l’affaire et sans autre forme de procès, et pour lequel la précarité fait partie du quotidien (pas de couverture sociale ni d’assurance maladie). Iain Levison épingle également les universités américaines, qui loin de former de futurs cadres obligent leurs diplômés à s’endetter pour payer leurs études sans leur offrir à la sortie des débouchés dignes de ce nom. Mais pour en revenir à ses nombreuses aventures professionnelles, c’est incontestablement le récit des quelques mois passés
en Alaska à conditionner du crabe, puis à embarquer à bord d’un chalutier pour plusieurs semaines de pêche, qui constitue l’épisode le plus hallucinant du livre. Il décrit en effet des conditions de travail tellement dures qu’aucune recrue ne peut espérer tenir plus d’un an sous peine de perdre la raison. Les plus costauds et les plus forts en gueule ne sont d’ailleurs pas forcément ceux qui sont les mieux armés pour supporter la pénibilité des différents postes de travail, et ce malgré la promesse d’un salaire alléchant. Pas étonnant que la couverture (qui m’a d’ailleurs rappelé l’un des ‘Objets rêvés’ de l’expo que nous avions vue au printemps avec Doy) mette en scène un poisson, tant cette expérience en Alaska semble l’avoir marqué. En conclusion, c’est un livre qui se lit très facilement, parfois en réprimant des éclats de rire, mais qui au final laisse un goût amer dans la bouche. Surtout, il permet de relativiser beaucoup de choses lorsque l’on a la chance d’occuper un emploi stable, intéressant, pour lequel on est rémunéré à un juste niveau de salaire…

Note : 4/5

Shifue.

Le sourire du clown

Tome 1, 2 & 3 – L Brunschwig, L Hirn – 2005 à 2009 – Futuropolis – 62, 65 & 70 planches

Le jeune Djin joue avec un clown qui se fait appeler Groko. Ils s’entendent à merveille et le clown est un peu comme un père pour le garçonnet. Groko et son ami Glok sont deux clowns qui se sont installés dans une roulotte au milieu de la cité HLM des Hauts Vents. Comme bon nombre des habitants de la cité, ils travaillaient dans une usine voisine qui a fermé, alors ils se sont reconvertis. Ils essayent de redonner le sourire dans cette triste cité. L’enfant apprend à jouer de la trompette avec son ami au nez rouge quand le drame survient. Sa mère, bonne du curé, tue le clown d’une balle en pleine tête sans qu’on comprenne pourquoi. L’enfant se mure dans un mutisme irréversible. Dis ans plus tard, cette même cité est devenue une cité délabrée qui n’intéresse pas les élus. Seul le clown triste, Glok, essaye à sa façon de faire sortir les jeunes de leur quotidien pour ne pas qu’ils tombent dans la délinquance. Il a monté une école du cirque bénévole où tous les jeunes désœuvrés peuvent venir s’occuper. Chaque soir ses élèves proposent une chanson sous les fenêtres des habitants. Tout ce fragile équilibre vole en éclat quand un nouveau curé accompagné de deux grosses valises arrive dans le quartier.
Après ce brillant pitch qui vous a mis l’eau à la bouche, je suis sûr que vous venez de commander ces 3 tomes, et si ce n’est pas encore fait lisez la suite ça devrait vous donner envie. Cette histoire est un vrai drame urbain, l’histoire d’un jeune garçon qui perd la parole en voyant son ami se faire tuer par sa propre mère. C’est aussi l’histoire d’une cité qui ne demande qu’à exploser : il manque l’étincelle et tout pète, les adultes n’ont plus de boulot, les jeunes ne voient pas d’avenir. Le scénariste nous sert ici un récit noir empli de détresse sociale. L’intrigue est bien menée, on ne sait pas tout de suite qui tire les ficelle, qui est le pourri dans l’histoire et quand on le sait on ne comprend pas tout de suite pourquoi. C’est bien amené et on se prend au jeu, on ne sait pas si on aura droit à un happy-end ou si on s »enfoncera dans la noirceur totale. Les personnages sont complexes et trainent chacun leurs casseroles, la vie n’ayant épargné personne. On a envie d’aider le jeune Djin, de coller une balle aux méchants vilains pas beaux. Au niveau du dessin, c’est très bien réalisé. Laurent Hirn travaille ici en couleur directe, nous avons sous les yeux des planches qui ressemblent parfois à tes tableaux. J’aime le rendu des planches, l’aspect granuleux du papier Canson. Ce travail participe amplement à l’ambiance de ces albums, notamment le travail effectué sur les visages des gens tristes.
Joli travail et jolie collaboration qui donnent une belle histoire qui ne laisse pas indifférent.

Note : 4/5

Doy.

Huit fois debout

Xabi Molia – 2010

Pas d’intrigue complexe ni de rebondissements dans ce film. Juste deux personnages, Elsa (Julie Gayet) et Mathieu (Denis Podalydès), qui incarnent chacun dans leur genre des êtres marginaux, peu à l’aise dans la société actuelle où il faut se battre pour trouver un emploi, et donc pouvoir s’insérer. Pour Elsa, l’enjeu est d’autant plus grand qu’elle doit travailler pour obtenir la garde de son fils.
Ce qui fait la force de ce film, c’est la qualité d’interprétation de Julie Gayet et Denis Podalydès, vraiment excellents : elle, lunaire, fragile, parfois drôle, toujours émouvante ; lui, totalement convaincant en looser, expliquant au responsable du recrutement qui l’a convoqué –
dans une scène un peu surréaliste – qu’il n’a pas travaillé pendant plusieurs années pour « prendre du recul », ou encore qu’il peut être très utile pour une entreprise d’embaucher quelqu’un comme lui, plein de doutes, qui (se) pose sans cesse des questions… Si le drame n’est jamais loin, l’ambiance n’est pas pour autant pesante. Et si l’on peut regretter par moments certaines longueurs, dans l’ensemble, c’est un très bon film.

Shifue.

A mon tour de mettre mon grain de sel sur ce premier essai de Xabi Molia. Ce n’est pas facile de passer en second, quand ce qu’on pense a déjà été brillamment dit par Shifue. Ce que je retiendrai de ce film, c’est la très bonne interprétation des 2 acteurs. Mention spéciale à Julie Gayet, souvent touchante dans ce rôle de paumée, en proie à d’énormes doutes sur elle même et sa capacité à redresser la barre. Je pense que sans cette brillante interprétation on pourrait trouver certains passages un poil trop longs. Touchant ce film quand on assiste impuissant à ses désillusions successives (notamment celle du poste de caissière), même si le titre nous avait mis sur la voie. Enfin, je trouve qu’il se dégage de ce moment cinématographique une certaine poésie qui prend le dessus sur la précarité ambiante. Pour finir les scènes de nettoyage de bus ne pouvaient que nous renvoyer au « Quai de Ouistreham »

Doy.


La route est droite mais la pente est forte…

R.Vandendriessche – Le cycliste – 2007 – 93 planches

L’histoire : Max et trois copains partagent un appartement, mais lui seul est déclaré et une contrôleuse de la CAF, lors d’une visite inopinée, découvre le « pot aux roses ». Se retrouvant sans revenus suffisants, Max va donc se mettre à la recherche d’un boulot leur permettant de payer le loyer.
Mon sentiment : le dessin est plutôt sympa, certaines bulles sont franchement drôles (notamment celles qui ont trait au passage éclair de Max aux éditions « Batlas »), mais l’impression générale est mitigée. J’ai passé un bon moment, mais selon moi ce n’est pas la BD du siècle.

Note : 3/5

Shifue.

Le quai de Ouistreham

Florence Aubenas – 2010 – Editions de l’Olivier – 269 pages

Ça faisait longtemps que je ne n’avais pas lu d’essai, la dernière fois ça m’avait foutu le cafard. Ok on peut pas dire que là le sujet soit d’une légèreté folle et puis on la voit partout Florence, alors même pas peur. Je me lance.
Florence Aubenas s’immerge totalement dans le monde des socialement défavorisés, pas comme une simple journaliste venue enquêter. Non, elle quitte son emploi de journaliste et va s’inscrire au Pôle emploi. De petits boulots en petits contrats, elle frotte, astique, sans reconnaissance, femme de l’ombre. Elle arrêtera son enquête quand elle aura trouvé un CDI : le saint Graal.
Alors on va faire simple et pas y aller par quatre chemins, ça fout une claque. Soit on relativise en se disant qu’on a du bol d’avoir du boulot et de manger à notre faim, soit on déprime illico presto. Perso je préfère relativiser et prendre conscience une fois de plus de la chance que j’ai. L’une des anecdotes qui m’a touché lors de cette lecture était le rapport qu’ont certaines de ses « amies » à la télé, totalement addictes à TF1 et ses « attention à la marche » où autres « confessions intimes ». Devant leur écran elles se sentent vivre. Assez poignant…

Note : 3/5

Doy.