Emmanuel Lepage – Futuropolis – 2012 – 162 pl.
Avant de lire cet album, j’en avais d’abord entendu et lu beaucoup de bien. Compte tenu de l’offre foisonnante en matière de BD ces dernières années, et donc des choix nécessaires à opérer lorsque l’on souhaite se tenir au courant de l’actualité (on ne peut pas tout acheter ni tout lire…), je me suis dit que cet album tombait bien et que j’allais me faire ma propre opinion en le lisant à mon tour. Autant dire qu’une fois l’album refermé je n’ai pas été déçue… Nous avons affaire ici à du « lourd », de la qualité, bref ce one-shot vaut vraiment le détour.
Conçu par son auteur, Emmanuel Lepage, comme un « reportage en dessin », Un printemps à Tchernobyl est un documentaire sur les gens et les lieux témoins de la plus grande catastrophe nucléaire du XXème siècle, vingt ans après les faits. C’est le récit autobiographique d’un voyage en terre inconnue, dont le nom seul véhicule – après toutes ces années, encore – crainte, peur, effroi, réticence, rejet.
Lorsqu’il arrive à Tchernobyl, il est frappant de constater que la question que se pose Emmanuel Lepage tourne autour du bien fondé, de la légitimité de sa présence sur ce sol. Il n’est en effet pas là par hasard, mais bien pour apporter son témoignage sur un quotidien dont peu de choses filtrent et ne parviennent jusqu’à nous. Mais il semble pourtant ressentir profondément le sentiment d’être un étranger dans cet endroit hostile. Et pourtant, c’est bientôt une véritable découverte, une révélation, qu’il expérimente. Au contact de ces lieux et de ses habitants, malgré toutes les précautions à prendre dans la vie de tous les jours, ce sont certes des gens fatigués, malades, physiquement marqués ; des habitations détruites, des lieux laissés à l’abandon, pillés ; des signes de la dangerosité des lieux. Mais aussi des paysages magnifiques en ce début de printemps, et une certaine joie de vivre, notamment chez les enfants nés après la catastrophe. Bref, sans doute tout à fait autre chose que ce qu’il s’attendait à trouver en entamant son reportage. C’est pourquoi Emmanuel Lepage avoue à la fin de son périple : « Ce n’est pas la mort que je suis venu toucher… mais ce qui me fait peur, ce qui se dérobe à mon regard… l’inconnu… le mystère… et c’est la vie qui m’a surpris. »
Pour terminer, quelques mots sur le dessin lui-même, car n’oublions pas qu’il s’agit là d’un reportage, certes, mais « en dessin ». Graphiquement, l’album est particulièrement réussi. Les planches aux teintes sombres, sublimes, alternent avec des dessins de couleurs (aquarelles et pastels), mélange qui renforce le sentiment selon lequel les lieux de désolation côtoient ceux où la vie reprend le dessus. Bref, scénario et dessin s’allient pour donner un album que l’on referme en ayant le sentiment d’avoir, l’espace d’une lecture, grandi un peu, et surtout réfléchi à… (je vous laisse ici remplir l’espace laissé libre ; pour moi ce serait sans doute : le sens de la vie, la mort, l’autre et la nécessité du vivre ensemble).