Philippe Claudel – Stock – 2003 – 288 p.
Autre coup de coeur en forme de leçon de rattrapage (j’étais en effet passée à côté de ces deux romans lors de leur parution), avec Les âmes grises de Philippe Claudel. Dans un style différent mais tout aussi fin, précis et efficace que celui de Laurent Gaudé, ce sont cette fois les souvenirs d’un narrateur qui se dévoile au fil des pages – preuve du sens de la théâtralité parfaitement maîtrisé par l’auteur – qui sont évoqués là, avec pour décor les Ardennes de la Grande Guerre. Mais si la barbarie et la cruauté humaines sont présentes, c’est moins en raison des combats – proches et lointains à la fois – que du meurtre d’une fillette de dix ans, connue de tous les habitants du coin sous le nom de « Belle de jour ». Ce fait divers est l’occasion pour le narrateur de dresser le portrait, bien des années après, de tous les protagonistes de l’affaire, dont on se demande bien s’ils peuvent avoir été mêlés de près ou de loin à cet assassinat. Car il n’est dans cet endroit que des « âmes grises », à savoir des gens ni totalement bons ni totalement mauvais, pétris de secrets, de failles, de doutes et de regrets. C’est également pour lui l’occasion de passer à d’autres aveux, plus personnels et intimes, car il se sait à la fin de sa vie et veut par là soulager sa conscience.
Très beau livre là encore que ce roman, également primé à sa sortie et à juste titre. Le talent de Philippe Claudel est ici de faire d’une histoire qui aurait pu être une intrigue de plus, divertissante mais sans attrait particulier, un récit soigné, rehaussé par une écriture fluide, qui tient en haleine et laisse, une fois le livre refermé, un sentiment de profondeur et de grande justesse.