Tribulations d’un précaire

Iain Levison – Liana Levi – 2009 – 187 pages

Ce livre est un récit autobiographique, mais n’est pas vraiment un classique du genre. Son auteur, Iain Levinson, y livre de nombreuses anecdotes survenues à l’occasion des dizaines de petits boulots qu’il a dû enchaîner malgré l’obtention d’un diplôme universitaire. Extrait : ‘Au cours des dix dernières années, j’ai eu quarante-deux emplois dans six Etats différents. J’en ai laissé tomber trente, on m’a viré de neuf, quant aux trois autres, ç’a été un peu confus. C’est parfois difficile de dire exactement ce qui s’est passé, vous savez seulement qu’il vaut mieux ne pas vous représenter le lendemain.‘ En quelques mots, le ton est donné.
C’est un livre drôle, plein d’humour et d’esprit, mais moins superficiel qu’il n’en a l’air à première vue. Il dresse en effet un portrait sans concession du monde du travail américain, où le salarié est le plus souvent considéré comme un objet de consommation dont on peut se débarrasser dès qu’il ne fait plus l’affaire et sans autre forme de procès, et pour lequel la précarité fait partie du quotidien (pas de couverture sociale ni d’assurance maladie). Iain Levison épingle également les universités américaines, qui loin de former de futurs cadres obligent leurs diplômés à s’endetter pour payer leurs études sans leur offrir à la sortie des débouchés dignes de ce nom. Mais pour en revenir à ses nombreuses aventures professionnelles, c’est incontestablement le récit des quelques mois passés
en Alaska à conditionner du crabe, puis à embarquer à bord d’un chalutier pour plusieurs semaines de pêche, qui constitue l’épisode le plus hallucinant du livre. Il décrit en effet des conditions de travail tellement dures qu’aucune recrue ne peut espérer tenir plus d’un an sous peine de perdre la raison. Les plus costauds et les plus forts en gueule ne sont d’ailleurs pas forcément ceux qui sont les mieux armés pour supporter la pénibilité des différents postes de travail, et ce malgré la promesse d’un salaire alléchant. Pas étonnant que la couverture (qui m’a d’ailleurs rappelé l’un des ‘Objets rêvés’ de l’expo que nous avions vue au printemps avec Doy) mette en scène un poisson, tant cette expérience en Alaska semble l’avoir marqué. En conclusion, c’est un livre qui se lit très facilement, parfois en réprimant des éclats de rire, mais qui au final laisse un goût amer dans la bouche. Surtout, il permet de relativiser beaucoup de choses lorsque l’on a la chance d’occuper un emploi stable, intéressant, pour lequel on est rémunéré à un juste niveau de salaire…

Note : 4/5

Shifue.

De la note au cerveau

L’influence de la musique sur le comportement – Daniel Levitin – 2010 – Ed. Héloïse d’Ormesson – 363 pages

Le traitement de la musique a certains points en commun avec les opérations nécessaires à l’analyse des autres sons (…). Il faut analyser plusieurs dimensions d’un son musical (ce qui implique généralement des processus cérébraux quasi indépendants), puis les rassembler afin de former une représentation cohérente de ce que nous écoutons.’  Voilà tout l’enjeu de cet ouvrage passionnant : montrer l’apport des neurosciences dans la compréhension des mécanismes cérébraux à l’oeuvre dans l’écoute et la pratique de la musique.
Pour la petite histoire, j’avais repéré cet ouvrage à la Quefna (c’est Doy qui le dit), mais je l’ai fait commander par une collègue bibliothécaire qui, au passage, m’a dit : « Tu as intérêt de le lire !!! » (Mouarf). Il s’avère que j’ai bel et bien galéré pour le lire et le terminer (j’avoue que j’ai sauté des pages… Ouh, la honte !) non pas parce que l’ouvrage n’est pas intéressant, mais parce qu’il faut être quand même bien concentré pour tout comprendre… Et pourtant, Daniel Levitin réussit entièrement son pari en s’adressant tout à la fois aux spécialistes et aux non-spécialistes. En effet, cet essai est truffé d’exemples (aussi bien rock, que classique, funk, hip hop, soul, etc…), de sorte que son propos est extrêmement clair.
Au final, qu’ai-je retenu ? Et bien que, même si nous ne viendrons sans doute jamais à bout de tous les mystères du cerveau humain, il n’est pas nécessaire de comprendre dans le menu détail comment celui-ci fonctionne pour apprécier la bonne musique* (Red Hot Chili Peppers, Radiohead, et j’en passe…). *Encore faut-il sans doute s’entendre sur ce qu’est, ou non, de la bonne musique… ??

Note : 4/5

Shifue.

Le conflit

Elisabeth Badinter – 2010 – Flammarion – 256 pages

Dans cet essai, Elisabeth Badinter repart en croisade 30 ans après « L’amour en plus » pour (ré)affirmer les droits des femmes, et notamment celui de ne pas être de simples mères entièrement dévouées à la cause de leurs enfants. En résumé, elle dénonce une régression qu’elle considère comme dangereuse pour les femmes des pays occidentaux : le retour d’une idéologie « naturaliste », dont les défenseurs cherchent à culpabiliser les mères qui n’allaitent pas, qui reprennent le travail après la naissance de leur bébé, bref qui ne se consacrent pas exclusivement à l’éducation de leur enfant.
Ceci étant dit, on comprend très facilement pourquoi
ce livre a fait du bruit lors de sa parution et continue d’en faire. Elisabeth Badinter ne mâche pas ses mots pour dénoncer les excès de certains spécialistes de la petite enfance (dont Edwige Antier, pédiatre renommée et auteur de nombreux ouvrages, dans lesquels elle affirme que les mères possèdent naturellement une « fibre maternelle »), ou d’associations comme la « Leche League » dont l’influence est grande dans de nombreux pays, et qui milite pour l’allaitement exclusif de l’enfant pendant de nombreux mois, attitude pour le moins incompatible avec la reprise d’une activité professionnelle.
Quant à mon avis sur cet essai ? Je dois avouer que j’ai été un peu surprise à la lecture des premiers chapitres, essentiellement en raison des références bibliographiques données par Elisabeth Badinter (romans, articles parus dans des magazines féminins, …). Mais j’ai trouvé au final que ce livre donnait véritablement à réfléchir. Comment concevoir en effet qu’il soit encore nécessaire pour une femme au XXIème siècle de se battre pour faire admettre son droit à ne pas vouloir d’enfant, ou son aspiration à concilier vie familiale et vie professionnelle ? Cet ouvrage a donc au moins le mérite de poser le problème.

Note : 4/5

Shifue.

Le quai de Ouistreham

Florence Aubenas – 2010 – Editions de l’Olivier – 269 pages

Ça faisait longtemps que je ne n’avais pas lu d’essai, la dernière fois ça m’avait foutu le cafard. Ok on peut pas dire que là le sujet soit d’une légèreté folle et puis on la voit partout Florence, alors même pas peur. Je me lance.
Florence Aubenas s’immerge totalement dans le monde des socialement défavorisés, pas comme une simple journaliste venue enquêter. Non, elle quitte son emploi de journaliste et va s’inscrire au Pôle emploi. De petits boulots en petits contrats, elle frotte, astique, sans reconnaissance, femme de l’ombre. Elle arrêtera son enquête quand elle aura trouvé un CDI : le saint Graal.
Alors on va faire simple et pas y aller par quatre chemins, ça fout une claque. Soit on relativise en se disant qu’on a du bol d’avoir du boulot et de manger à notre faim, soit on déprime illico presto. Perso je préfère relativiser et prendre conscience une fois de plus de la chance que j’ai. L’une des anecdotes qui m’a touché lors de cette lecture était le rapport qu’ont certaines de ses « amies » à la télé, totalement addictes à TF1 et ses « attention à la marche » où autres « confessions intimes ». Devant leur écran elles se sentent vivre. Assez poignant…

Note : 3/5

Doy.